Cette exposition sur l’art et la culture de la Neue Sachlichkeit (Nouvelle Objectivité) en Allemagne est la première vue d’ensemble sur ce courant artistique en France. Outre la peinture et la photographie, le projet réunit l’architecture, le design, le cinéma, le théâtre, la littérature et la musique.
L’exposition explore la vie culturelle, artistique et sociologique dans la république de Weimar de 1925 à 1933. Parcourez les grands thèmes de l’exposition avec Angela Lampe, commissaire de la section « Nouvelle Objectivité », Florian Ebner, commissaire de la section « August Sander », ainsi que Sophie Goetzmann, chargée de recherche.
Le chef-d’œuvre du photographe August Sander, Hommes du 20e siècle, instaure comme principe structurel le motif d’une coupe transversale à travers une société, en tant qu’ « exposition dans l’exposition », les deux perspectives conjointes permettant l’ouverture d’un grand panorama de l’art allemand de la fin des années 1920. 

Pluridisciplinaire, l’exposition est structurée en huit sections thématiques, mises en correspondance avec les groupes et catégories socio-culturels créés par August Sander.  

Un regard sur l’histoire allemande, dans le contexte d’une Europe contemporaine de mouvements populistes et de sociétés divergentes en pleine révolution numérique, qui invite à constater des résonances politiques et des analogies médiatiques entre les situations d’hier et d’aujourd’hui.
Contexte historique et thématiques :

Nous sommes en Allemagne, après la boucherie de la Grande Guerre. Les artistes vont abandonner une forme très expressive pour devenir plus réalistes, plus objectifs. La société allemande des années 1920 est en pleine transformation : des mutations autant sociales, politiques que médiatiques et technologiques.

Standardisation : Les singularités sont effacées, au profit d’un recours à des modèles, des types normés, des formes simples reproductibles en série. Ici, nous voyons des peintures comme celles de George Grosz, avec ses figures humaines schématiques sans visage aux expressions neutres dans des décors urbains vides.

Cela correspond, en architecture, au lancement en Allemagne de grands programmes de cités-lotissements, comme à Francfort, pour lesquels l’habitat est conçu à partir de modules standardisés. Nous voyons ici des gravures réalisées par Gernd Arntz, où les personnes sont schématisées et géométrisées. Les silhouettes apparaissent dans un jeu simple et subtil de noir et de blanc : les rayures d’un prisonnier jouent avec la grille, les attitudes des ouvriers se répètent au rythme des roues de la machine.

Le montage : Le photomontage est apparu pendant la guerre chez les artistes dada. Quelques années plus tard, cette technique est reprise en peinture, photo, cinéma, littérature, pour être mise au service de l’analyse de la société. Le mélange de motifs ou d’informations, dissociées dans la réalité, permet aux artistes de proposer une forme de synthèse visuelle de l’époque. Par exemple, le tableau de Lotte Prechner, Époque.

Un autre exemple est ce portrait du Comte St-Genois d'Anneaucourt de Christian Schad. Là aussi, la composition semble réelle et est en fait fictive : les personnages sont comme des figures découpées les unes à côté des autres, sans espace entre eux. On y voit l’aristocrate qui côtoie un travesti berlinois dans une rue de Montmartre. Dans son style naturaliste, l’artiste fait une célébration de l’artificiel et de l’ambiguïté.

On voit aussi, dans cette section, le manuscrit d’Alfred Döblin, Alexanderplatz, un véritable collage de slogans, publicités, articles. Le film de Walter Ruttmann, La Symphonie de la grande ville, est un assemblage d’images ou de sons hétérogènes qui sont captés directement et qui nous font vivre une journée type à Berlin.

Les objets : Le regard scrutateur des artistes de la Nouvelle Objectivité les amène à prendre comme modèles les objets. En raison de sa technique soi-disant objective, la photographie paraît adaptée au rendu précis des choses dans leur matérialité. Un dialogue s’établit entre les deux arts, la peinture et la photographie.

Persona froide : Les quatre années meurtrières de la guerre soldées par une défaite engendrent une désillusion générale. L’humiliation fait naître une culture de la honte. Dans les années 1920, apparaît ce que l’universitaire, spécialiste de la culture allemande Helmut Lethen appelle la « persona froide ».

Rationalité : Après la guerre, c’est la crise économique en Allemagne, qui connait une hyperinflation. En 1924, le plan Dawes vise à aider l’Allemagne à renouer avec la croissance, grâce à l’injection de capitaux américains. Il se développe alors chez les Allemands une fascination pour l’Amérique qui a investi généreusement. Le modèle social des États-Unis est comme méthodique, harmonieux, innovant car gouverné par la technique. C’est dans ce contexte que la rationalisation infuse la culture en Allemagne, de la façon d’organiser les intérieurs aux divertissements populaires, en passant par le design graphique.

Utilité : De nouveaux styles musicaux importés d’Amérique apparaissent en Allemagne dans les années 1920 et deviennent très populaires. Notamment le jazz et les musiques de danse comme le fox-trot. Les compositeurs Ernst Krenek, Kurt Wild ou Paul Hindemith s’en inspirent pour créer un genre musical nouveau, le Zeitoper, en français : opéra d’actualité.

Les intrigues se déroulent dans le monde contemporain, les décors intègrent des machines modernes comme les trains, voitures, téléphones. L’opéra s’adresse alors à un vaste public et puise ses références dans la culture populaire.

Transgressions : On a deux formes de transgression qui sont montrées dans ces salles. La transgression des normes de genre, d'abord : l'idée des normes de genre qui vont se déplacer, notamment dans l'expression, dans les habits, par exemple, qu'on va choisir, et notamment les femmes de cette époque-là.

Alors, souvent, plutôt les femmes de la classe moyenne supérieure, qui vivent dans les grandes villes, vont recourir à la mode masculine, s'habiller à la garçonne, arborer des cheveux courts, un torse plat, des cravates, pour modifier un peu la mode féminine de l'époque. Donc, transgression des normes de genre et transgression de l'hétérosexualité parce que, dans le Berlin des années 1920, il existait toute une subculture homosexuelle très importante, notamment à travers des clubs, des lieux de rencontre, des restaurants, des bars.

La peintre et dessinatrice Jeanne Mammen réalise des aquarelles croquant le quotidien des lieux de rencontres lesbiens, figurant les relations entre femmes avec une certaine tendresse, tout comme Christian Schad, qui dessine deux jeunes garçons amoureusement enlacés. Otto Dix, dans ses portraits, représente en revanche ses modèles selon une vision plus hétéronormative. La danseuse Anita Berber, vedette ouvertement bisexuelle aux multiples frasques, est caricaturée comme une personnification du péché. Tout en rouge, elle est présentée comme une figure vraiment sortie de l'enfer. C'est vraiment l'incarnation de la Babylone, pécheresse.

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